Dominique Barthelemy a écrit:
Pour les palmiers à huile, entierement d'accord. Nous sommes les consommateurs des produits dérivés de cette huile, et donc autant responsables. Pas facile pourtant de faire le tri dans son caddie, d'autant plus qu'elle se loge partout! On peu ajouter à ça les fameux 'bio'-carburants qui l'utilisent aussi.
Une chose m'a frappé également dans ces plantations, c'est de ne voir pratiquement personne y travailler. J'imagine que cette culture ne demande que peu de personnel une fois mise en place (d'où le faible coùt de l'huile). Quel bénéfice pour les populations locales, en dehors des gros propriétaires?...
très bonne observation en effet et c'est bien là le problème : si encore cette culture était synonyme de création de richesse ( non pas pour la richesse elle-même mais pour le fait qu'elle permette par exemple l'accès à l'éducation ou à des systèmes de santé) ce serait un moindre mal même si la destruction de l'environnement n'en demeurerait pas moins réelle.
Comme j'aime bien connaître ce contre quoi je me bats , j'ai passé pas mal de temps pendant le séjour à creuser le sujet et je connais maintenant parfaitement le cycle qui mène de la plantation des arbres à la fabrication finale de l'huile, pour usage alimentaire et non-alimentaire. C'est bien là le souci, tout ceci est parfaitement rodé et performant et est entré dans une phase d'optimisation parfaite qui en fait une culture très peu "labor-intensive", comprenez utilisant très peu de main d'oeuvre, contrairement par exemple à la culture de la coco ou du cacao qui nécessitent bien plus d'intervention humaine dans les plantations et dans les usines de transformation
Que ceux que cela n'intéresse pas m'excusent pour ce qui va suivre mais pour ceux que cela intéresse je vais essayer de résumer le cycle de production. Au moins l'effort que j'ai fait de prendre sur moi pour "subir" la conversation un soir à Lahad Datu (capitale malaise de la production de l'huile, avec 5 raffineries) d'un propriétaire de plantation me détaillant autour d'un repas avec grande fierté l'optimisation de la production n'aura pas été vain
Le cycle commence évidemment par le défrichement de la forêt, sachant que les plantations se font en général sur des parcelles qui ont d'abord été exploitées (cela remonte parfois au temps de la colonisation britannique) pour le bois et dont toutes les essences de valeur commerciale ont été coupées. Après cette exploitation les parcelles restantes ont peu de valeur pour leur propriétaire et ils cherchent donc à les convertir pour en retirer du profit ou à les vendre à prix très bas (aux grandes sociétés qui les défrichent ensuite pour installer les plantations). s'ensuit un cycle de 3 ans environ qui est quasiment le seul à avoir recours à de la main d'oeuvre de façon importante : défrichement, travail du sol (formation de remblais, de tranchées de drainage car les défrichements en amont des rivières entrainent des inondations de + en + fréquentes par manque de couvert végétal apte à drainer les eaux de pluie) et plantation à proprement parler. Une fois un palmier à huile planté, il va rester en place et produire, à compter de sa 3ème année, pendant environ 25 à 30 ans. A ce stade, la seule main d'oeuvre utilisée est celle nécessaire à la récolte des fruits. Ceux -ci se présentent en immenses "grappes" et sont très faciles à ramasser, donc peu d'emploi à ce niveau.
Ce qui est redoutable avec ces plantations, c'est que l'adaptation à ce type de climat est quasi parfaite et amène à faire entre 15 et 20 récoltes par an sur un même arbre: le palmier ne connait pas de cycle de production, comme en ont l'olivier chez nous ou même la coco : il produit de façon continue et ce pendant tout son cycle de vie. De plus, la plante répond relativement bien aux engrais azotés et les apports d'engrais viennent "maintenir" le rythme de production à un niveau quasi constant. Je vous laisse imaginer l'impact, sur une culture aussi extensive (c'est une autre caractéristique, c'est une "extensive culture", pas intensive. il faut beaucoup de place pour avoir uen bonne rentabilité, donc beaucoup de défrichement) des applications intensives et constantes d'engrais, à proximité de rivières, avec des crues régulières qui viennent "laver les sols" et entrainer les sels vers la mer. L'honnêteté intellectuelle m'oblige à dire que j'ai trouvé 1 point positif dans cette culture : la quasi absence d'utilisation d'autres produits phyto sanitaires, notamment pesticides et herbicides; le palmier ne connait quasiment pas d'attaques de "pests" (insectes, maladies) et en dehors des 3 premières années qui suivent la plantation, ne nécessite pas de traitement chimique.
Quand à la production de l'huile à proprement parler, elle a été quasi entièrement automatisée, en dehors des opérations de transport des fruits vers les moulins et raffinerie et a donc très peu créé d'emploi. De plus le système est complètement intégré (pour ceux que ça intéresse je peux détailler les différentes opérations: du lavage au pressage) et endehors de quelques opérateurs surveillant la chaîne de production il n'y a pas d'intervention humaine.
Dans l'ensemble les plantations et raffineries sont d'ailleurs la propriété de grandes multinationales, souvent cotées en bourse, telles que Wilma (basée à Singapour), Sime, etc et donc sujettes à la spéculation, prise de participation de hedge funds,etc. Les plantations n'appartiennent jamais à de petits propriétaires terriens, d'autant que les compagnies font souvent pression sur les propriétaires pour obtenir à bas coût les terrains convoités.
Il existe un organisme malaisien gouvernemental dont le but est la promotion de l'industrie (et de l'utilisation) de l'huile de palme, dans un but soit disant de développement "durable" (voir paragraphe "sustainability sur leur site" ( sic!!!). Leur site est intéressant à regarder pour se faire une idée de la façon dont ils essaient entre autres de mettre en avant des actions de soi-disant conservation du milieu naturel ( voir le paragraphe réservé aux actions en faveur des orangs-outans) ou encore de faire passer l'huile de palme pour une matière grasse ayant un impact positif sur la santé; le décalage avec la réalité sur le terrain est tout à fait édifiant ...
http://www.mpoc.org.my/Pour finir je rajouterai , plutôt comme un clin d'oeil, mais parce que j'ai trouvé cela très révélateur de l'état d'esprit qui prévaut, que la principale préoccupation de mon interlocuteur de Lahad Datu, après qu'il m'ait expliqué en long en large et en travers comment des années de recherche leur avait permis de faire passer le taux d'extraction (% d'huile obtenue par rapport au poids de fruit récolté) de 20 à 23.5%, parfois même 25% en une décennie, était de savoir s'il devait continuer à investir l'argent produit dans des hedge funds ( vous savez les fameux fonds spéculatifs impliqués dans la crise des subprimes

) ou retouner vers des investissement un peu moins spéculatifs... nous sommes loin de discussions de paysans qui cultiveraient leur lopin de terre pour faire vivre leur famille !
enfin, comme on ne va pas ouvrir le gaz de suite, pour la petite histoire si on voit peu d'humains dans les plantations, elles sont en revanche fort peuplées de ....rats , qui raffolent des fruits, et de ......cobras , qui raffolent de rats
je m'arrête là sinon je vais continuer à parler toute seule, des barrières électriques qui entourent les plantations et bloquent les routes migratoires de certaines espèces, de plantations qui occupent même les rives des forêts telles que la Kinabatangan, route historique de migration de l'éléphant pygmée, espèce endémique, etc, etc